samedi 12 juin 2010

Les blaireaux



(À lire avec une voix de détective privé chevronné)

On dit que traquer des fugitifs, c’est comme chasser le blaireau : il faut être patient et attentif aux moindres indices. Jamais entendu quelque chose d’aussi vrai. Ça faisait plusieurs mois que j’avais perdu leur piste. Mais parfois la vie nous réserve de grandes surprises…

La semaine avait été pénible pour moi. Des heures interminables au boulot, des enfants qui ne respectent pas le silence, des vieillards qui ne comprennent pas qu’il faille payer des amendes lorsqu’ils ramènent leurs livres en retard (« Quoi? 25 cennes? Dans mon temps, avec 25 cennes, t’achetais deux livres de sel, six livres de farine, une livre de sucre, deux poules pondeuses, une moitié de taure pi trois canisses de map-o-spread! Penses-tu que j’m’a payer 25 cennes pour des livres en retard, sainte-saligraine de bonyeu de ptit arrogant!?), bref tous les plaisirs de travailler dans une putain de bibliothèque.

Pour oublier ma triste routine j’étais allé me réfugier au bar du coin. « Au fond, on a que l’alcool comme véritable amie. Putain de vie. » pensai-je une fois assis au bar. D’un scotch à l’autre, je ne vis pas le temps passer. Deux heures sonnait déjà, il était temps pour moi de retourner au bercail. Le chemin du retour fut long, je titubais péniblement m’égarant à plusieurs reprises. Je marchais maintenant sur une rue sombre et triste qui m’était totalement inconnue. Un chat de gouttière traversa devant moi et non loin, un jeune môme pleurait. Je continuai ma route quelques mètres et soudain, je figeai. Ces pleurs, je les connaissais. Je revins sur mes pas. J’écoutai encore. Les pleurs se firent entendre de plus belle. Le môme pleurait et pleurait. Tout à coup j’entendis une bonne femme crier « SHUT UP AND BE QUIEEEET!!! »

Les effets abrutissants de l’alcool s’effacèrent en un instant. Cette fois, aucun doute possible. Je venais d’entendre une scène qui m’était bien connue. Les violents échanges verbaux entre une mère et son jeune fils que j’avais entendus durant des mois au 38 Dufferin refaisaient surface.

Je pris soin de mémoriser l’endroit où j’étais. Enfin j’allais pouvoir conclure la longue et laborieuse enquête que Dan le propriétaire m’avait confiée : retrouver les locataires fugitifs. Je contactai Dan le soir même. Une heure plus tard, l’escouade tactique se présentait à la résidence des fuyards et amenait toute la famille.

Finalement, il y a peut-être une putain de justice ici-bas. Et dire que cette justice, c'est moi. Putain de vie.

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